Propositions

CETA : Nicolas HULOT appelle à en finir avec les incohérences !

Publié le 04 juillet 2019 , mis à jour le 19 novembre 2020

Très mobilisé contre le traité de libre-échange entre l'Union Européenne et le Canada (le CETA), Nicolas Hulot s'est notamment exprimé à travers deux tribunes publiées dans le Journal du Dimanche le 30 juin 2019 et le site internet de France info le 22 juillet 2019. A travers ses prises de parole, Nicolas Hulot appelait les députés à dire non au CETA pour mieux renégocier l'accord et le rendre compatible avec les enjeux écologiques et sociaux. Malheureusement, le mardi 23 juillet 2019, les députés ont dit voté pour le CETA (266 voix pour et 213 contre). Les sénateurs peuvent encore s'opposer au texte... Retrouvez ici les deux tribunes de Nicolas Hulot.

Nicolas Hulot CETA

 "Soyons cohérents, rejetons le CETA", l'appel de Nicolas Hulot publié dans Le Journal du Dimanche du 30 juin 2019.

https://www.lejdd.fr/Politique/nicolas-hulot-soyons-coherents-rejetons-le-ceta-3907233

La mondialisation débridée emporte l’Europe dans une vague d’accords de commerce incompatibles avec la lutte contre le dérèglement climatique, la préservation de la biodiversité, la justice sociale, une alimentation saine et un élevage de qualité qui permette aux producteurs de vivre dignement de leur travail. En avril, la France a voté, seule, contre la négociation des accords commerciaux avec les Etats-Unis, au nom de l’Accord de Paris. La France a également affiché son opposition à toute inclusion du secteur agricole dans ces négociations. Un premier acte essentiel, mais allons beaucoup plus loin. Mettre l’Accord de Paris, le respect de nos règles sanitaires et les enjeux sociaux au cœur de la diplomatie commerciale doit devenir la règle. 

Pour ce faire, il faut en finir avec les incohérences. Comment peut-on d’un côté s’opposer à la reprise des négociations avec Donald Trump, se dire déterminé à préserver notre modèle d’élevage familial et herbager dans le cadre des EGA, et annoncer la ratification par la France du CETA ? Puis valider à Bruxelles un autre accord avec le Vietnam ? Ou encore avec les pays du MERCOSUR, parmi lesquels le Brésil du président Bolsonaro, qui mène une politique à l’opposé des engagements pris par la France ? Biodiversité, climat, peuples autochtones de la forêt amazonienne, … rien ni personne ne pourra résister à la déforestation massive qu’il promeut. 

Stopper aujourd’hui le CETA est indispensable car cet accord a valeur d’exemple. Ratifier le CETA n’est pas un tampon sur une décision administrative déjà prise. C’est un choix entre deux mondes, entre deux avenirs. L’un favoriserait le moins-disant environnemental, sanitaire et social et pénaliserait encore un peu plus les agriculteurs en les exposant à toujours plus de concurrence internationale déloyale. L’autre permettrait de se laisser le temps de construire des relations commerciales équilibrées, qui n’oublient ni l’ambition environnementale, ni la protection sociale, ni la dignité humaine. Des relations commerciales qui permettraient à la France de valoriser dans d’autres pays ce qu’elle a de mieux, plutôt de que d’importer ce qu’il y a de pire.

Regardons la réalité telle qu’elle est et non comme on voudrait qu’elle soit. Le Canada n’est pas un pays exemplaire en matière de politique environnementale. Les canadiens autorisent encore 46 molécules de pesticides et d’herbicides interdites en Europe. Dans leurs élevages, sont utilisées des farines animales et des antibiotiques avec activateurs de croissances, deux pratiques strictement interdites en Europe… mais autorisées pour nos importations ! Comment peut-on accepter l’arrivée dans nos assiettes de produits qui ne respectent pas nos standards ? Comment peut-on justifier l’autorisation de l’importation de 67 950 tonnes de viandes de bœufs principalement nourris au maïs OGM, alors qu’en France la ration alimentaire des bovins destinés à la production de viande est composée à 80 % d’herbe ? Le Canada s’obstine dans l’extraction de gaz de schiste et de pétrole issu des sables bitumineux qui est 48% plus émetteurs de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel. Comment peut-on accepter sans ciller la hausse de 63% des importations européennes de combustibles fossiles canadiens, un an seulement après l’entrée en vigueur du CETA ? Et comment peut-on envisager laisser aux investisseurs canadiens la possibilité de recourir à des tribunaux d’arbitrage pour attaquer les premières avancées environnementales et sociales obtenues dans nos politiques publiques ? 

Regarder la réalité en face, c’est aussi reconnaitre que, dans quelques mois, le futur Premier Ministre du Canada pourrait être Andrew Sheer, un conservateur qui a voté contre la ratification de l’Accord de Paris. Que fera-t-on alors du CETA, si le Canada décidait de ne pas tenir ses engagements climatiques ou de suivre Donald Trump en quittant à son tour l’Accord de Paris ? 

La ratification du CETA par la France sera discutée puis votée à l’assemblée à partir du 9 juillet. Il nous faut désormais aller au bout de la logique. Rester au milieu du gué est une stratégie perdante. Cela affaiblirait les premiers pas réalisés par la France sur la scène internationale et renforcerait l’incohérence avec la volonté affichée récemment par le Premier Ministre de faire plus et mieux pour l’écologie et le social.

Disons non au CETA actuel pour ré-ouvrir la négociation. Faisons-en le premier accord de commerce de juste échange pour ouvrir la voie à des accords qui soient non plus des freins, mais des leviers pour les défis environnementaux et sociaux auxquels nous devons faire face.  Et plus encore, arrêtons d’offrir des avantages commerciaux à ceux qui menacent l’humanité. Au même titre que l’UE a sanctionné la Russie quand elle a envahi la Crimée nous devons très rapidement prévoir des sanctions commerciales sur les importations de produits brésiliens qui contribuent fortement à la déforestation comme le soja et la viande de bœuf.

Le refus de la France de lancer des négociations avec Donald Trump au nom du climat et de la protection de notre modèle agricole est bien plus qu’un coup de communication et doit marquer un tournant de la politique commerciale. C’est la seule voie à suivre pour garantir une cohérence de l’action publique.

"Ayez le courage de dire non au CETA", le message de Nicolas Hulot aux députés publié sur le site de France Info, le 22 juillet 2019.

https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/tribune-ayez-le-courage-de-dire-non-nicolas-hulot-exhorte-les-deputes-a-ne-pas-ratifier-le-ceta_3545743.html

Demain chacun de vous aura plus de pouvoir que tous les ministres de l’écologie réunis. Demain chacun de vous sera libre de voter contre la ratification du CETA et exiger ainsi la réouverture des négociations. Demain la voix forte d’un pouvoir législatif unanime pourra éclairer utilement un exécutif qui agit comme si ratifier le CETA allait de soi. Ayons collectivement l’honnêteté de dire que la réalité de cet accord est beaucoup plus complexe.

Il était essentiel à l’origine de démontrer que les craintes de certains étaient non fondées. Mais reconnaissons que cela n’a jamais été possible. Le plan d’action, que j’ai moi-même endossé à l’automne 2017, n’a pas produits les résultats escomptés et les attentes légitimes n’ont pas été comblées. Nous avons échoué à apporter les garanties nécessaires sur le véto climatique, les farines animales, les nouveaux OGM, la sauvegarde du principe de précaution à l’européenne... Nous avons échoué à réformer la politique commerciale européenne. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Sourde à nos attentes, l’Union Européenne a préféré conclure rapidement des accords avec le Japon ou le Vietnam et un accord catastrophique avec le Mercosur. Et délivrer des nouveaux mandats de négociation avec les Etats-Unis de Donald Trump, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sans faire plus de cas de nos alertes.

Pourtant ces accords commerciaux de nouvelle génération, le CETA étant le premier d’entre eux, emportent toutes nos batailles et leurs conséquences dépassent largement nos frontières. Le gouvernement a dû finalement reconnaître que les normes qui s’appliquent sur le sol européen et celles qui s’appliquent à l’importation ne sont pas les mêmes en matière sanitaires et phytosanitaires. Ainsi, le CETA produit déjà ses premiers effets concrets en matière de coopération réglementaire. Pour permettre l’accès au marché intérieur européen à des produits canadiens, la Commission Européenne a commencé à relever nos limites maximales de résidus (LMR) autorisées pour certaines substances et produits. En les multipliant par 10 par exemple pour la clothianidine, un pesticide néonicotinoïde interdit en Europe, utilisé au Canada sur les pommes de terre. Le Parlement Européen a bien fait une première objection mais la Commission n’a pas désarmée et compte revenir à la charge. De la même façon, elle se prépare à relever les LMR pour le 2,4-D, un herbicide entrant dans la composition de l’agent orange, considéré en France comme perturbateur endocrinien, et qui devrait en théorie être interdit en Europe suite à la définition adoptée en 2017.

La convergence vers le haut a du plomb dans l’aile. Il suffit de visionner les comptes rendus succincts des comités de suivi du CETA pour constater que si le Canada est à l’offensive quant à la rigueur de nos normes, l’Union Européenne ne montre aucune volonté de questionner l’utilisation par le Canada de 46 substances interdites en Europe.

Le Canada ne fait lui pas mystère de ses intentions. S’il utilise déjà à son avantage les mécanismes peu transparents associés au CETA, il n’a pas hésité non plus à s’allier au Brésil et aux États-Unis pour demander le 04 juillet devant l’OMC des comptes à l’Union Européenne sur son application du principe de précaution quant aux perturbateurs endocriniens et autres substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Ce n’est pas nouveau. Déjà en 2016, le Canada avait fait pression avec succès sur la Commission Européenne pour affaiblir sa proposition de définition des pesticides perturbateurs endocriniens. Car ce qui se joue est immense. Dans la continuité des actes précédents, l’Union Européenne doit aujourd’hui faire évoluer sa doctrine de tolérance à l’importation pour aller vers une logique de tolérance zéro résidus pour les substances les plus dangereuses. Et c’est là tout l’enjeu car le marché européen est structurant pour de nombreux pays exportateurs. Quand nous interdisons des substances dangereuses en France et a fortiori en Europe pour protéger la santé de nos populations nous portons plus largement atteinte aux intérêts de BASF, Bayer-Monsanto, Syngenta, Dow Chemicals etc qui, pour pouvoir vendre leurs pesticides, doivent garantir aux agriculteurs exportateurs brésiliens, américains ou canadiens que leurs produits pourront pénétrer le marché intérieur européen. Toujours prompts à défiler dans les ministères pour expliquer combien ils investissent, créent de l’emploi et pourraient le faire partout ailleurs, ce sont ces firmes qui font pression pour que l’Europe abandonne son approche unique au monde, qui considère que les substances les plus toxiques doivent être interdites sans autres considérations que leur danger intrinsèque.

Aujourd’hui, et je l’ai expérimenté, être ministre de l’écologie et vouloir faire respecter le principe de précaution est une lutte de tous les instants. Quand tous les lobbys essayent déjà d’enfoncer la porte, pourquoi leur donner un bélier avec le CETA ? Demain, ces firmes qui ont toutes des filiales au Canada pourront menacer de recourir directement à l’arbitrage.

Mais alors pourquoi et pour qui ratifier le CETA ? Pourquoi maintenant ? Pas pour notre santé, pas pour nos agriculteurs ni pour le climat, on l’aura compris.Parce que les canadiens sont nos amis ? S’ils le sont vraiment, pourquoi ne pas renégocier politiquement cet accord avec eux pour en supprimer les risques dispensables. Ces accords de nouvelle génération sont loin du commerce comme facteur de concorde entre les peuples. Parce que quelques centièmes de points de croissance sont en jeu ? Parce que le commerce c’est important et qu’il faut être bon élève en Europe ? En réalité, au-delà des éléments de langage, qui sait vraiment pourquoi il faut ratifier absolument et maintenant le CETA ?

Demain, comme le voudraient tant de français, ayez le courage de dire non. Faisons enfin preuve de cohérence.

 

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