

Penser la transition
Appels à sauver l’Amazonie, demande de suspension de la ratification de l’accord avec le Mercosur par la France et l’Ir- lande face à la politique environnementale de Jair Bolsonaro, mobilisations sans précédent contre le CETA... L’impact du commerce mondial sur le dérèglement climatique, la déforestation, l’avenir des agriculteurs ou la qualité des produits alimentaires est désormais un sujet impossible à éluder. Les nouveaux Eurodéputés et Commissaires européens vont devoir s’en saisir rapidement sous peine de mettre en péril le projet européen. La FNH et l’Institut Veblen ont décortiqué la politique commerciale européenne et entrepris de proposer une alternative au libre-échange, érigé comme un véritable dogme. Dans un rapport inédit, publié ce jeudi 3 octobre 2019, nos deux organisations dégagent 37 propositions pour mettre le commerce au service de la transition écologique et sociale et rappellent la nécessité d’un moratoire sur la vingtaine de négociations en cours pour ouvrir une réforme, devenue incontournable.
Pointons d’abord le nœud du problème : constituant l’un des principaux fondements de la construction du marché commun à l’origine de l’Union européenne, le libre-échange est un dogme qui ne souffre aucune contradiction. Le commerce est traité comme une fin en soi, peu importent ses effets sur l’ensemble de la société.
Et pourtant, les règles du commerce mondial ou plutôt l’absence de règles contraignantes en matière sociale et environnementale, ne permettent pas de prendre en compte des urgences actuelles. Pire, elles contribuent au développement d’un modèle économique insoutenable et incohérent réduisant les marges de manœuvre des États dans de nombreux domaines et donnant un droit de regard aux entreprises multinationales sur les décisions de politiques publiques. Samuel Leré (Responsable plaidoyer FNH) et Mathilde Dupré (Co-directrice de l’Institut Veblen), auteurs du rapport rappellent cependant : « Nous ne sommes pas contre le commerce, mais nous prônons un changement de logiciel dans la manière d’appréhender les échanges pour qu’ils deviennent des leviers de transition et non le contraire ».
La FNH et l’Institut Veblen formulent une série de propositions qui vont de mesures unilatérales à des changements à adopter dans la conduite des négociations commerciales : de la manière dont sont négociés les accords, jusqu’à leur finalité, en passant par le choix des partenaires et les outils à mettre en place. L’objectif est de les mettre au débat dans le contexte de la mise en place de la nouvelle Commission européenne, tant au niveau national qu’européen.
Forte de son marché de 500 millions de consommateurs, elle doit choisir ses partenaires en faisant du commerce international un levier de diplomatie climatique, de coopération fiscale et de protection des droits humains avec : Des sanctions commerciales contre les pays qui commettent des violations sévères à l’égard de l’environnement et des droits humains et les paradis fiscaux. Un système favorisant les échanges de produits vertueux avec les pays engagés dans l’application de l’Accord de Paris et des autres conventions et accords internationaux.
> L’UE doit non seulement s’abstenir de conclure un accord de commerce avec le Brésil mais encore aller plus loin avec des sanctions commerciales ciblées sur les produits brésiliens qui contribuent à la déforestation comme le bœuf et le soja.
Toute sortie ou violation de l’Accord de Paris sur le climat doit pouvoir faire l’objet d’une suspension des avantages commerciaux dont bénéficie le pays concerné.
L’ UE produit et exporte des pesticides pourtant interdits dans l’Union car considérés comme dangereux. Puis les pays-membres importent des denrées agricoles traités avec ces mêmes pesticides qui se retrouvent dans les assiettes des européens. C’est donc la double peine : pour les agriculteurs qui subissent une concurrence déloyale, pour les écosystèmes détruits par ces substances nocives. et pour les citoyens intoxiqués à leur insu.
La concurrence des entreprises étrangères ne doit plus être un argument contre le renforcement des dispositifs européens en matière de prix du carbone.
En France, en 2017, l’entreprise canadienne Vermilion a menacé le Conseil d’État de poursuites au moment de l’examen de la loi interdisant l’exploitation des hydrocarbures, et obtenu gain de cause puisque le gouvernement a retiré la mesure incriminée, affaiblissant considérablement la portée de la loi.
Les accords négociés actuellement fixent le cadre des échanges économiques pour les décennies à venir, l’heure n’est donc plus au verdissement progressif de tel ou tel chapitre. La conduite d’une telle réforme suppose aussi de suspendre la ratification des accords tout juste finalisés avec le Canada, le Vietnam, le Mercosur ou encore Singapour et de décréter immédiatement un moratoire sur les négociations en cours avec les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, l’Indonésie...