Décryptage

Report des objectifs sur la baisse du nucléaire

Publié le 09 novembre 2017 , mis à jour le 23 avril 2021

Le 7 novembre 2017, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) a fait part de son incompréhension suite à l’annonce par Nicolas Hulot du report, au-delà de 2025, de l’objectif de baisse du nucléaire à 50% dans la production d’électricité. Nous résumons ici les causes de cette prise de position.

La FNH ne doute ni de la sincérité de Nicolas Hulot, ni de sa volonté de faire avancer la transition énergétique en France. Cependant, cette annonce intervient à un moment inopportun et semble desservir la cause politique pour laquelle le Ministre se bat. Nous ne comprenons pas pourquoi le Ministre s’est ainsi prononcé avant que n’aient débuté les discussions prévues jusqu’à la fin 2018 sur la planification énergétique de la France (la PPE – programmation pluriannuelle de l’énergie). D’autant que Nicolas Hulot ne propose en parallèle ni nouvelle date, ni plan d’action concret pour fermer des centrales nucléaires et développer les solutions de la transition énergétique. Or, fixer un cap est le socle même de toute action politique volontariste permettant de mobiliser les acteurs concernés. C’est encore plus essentiel lorsqu’il s’agit de sortir du nucléaire et de développer les alternatives, car la tâche est énorme. Avec l’abandon de la date de 2025, nous avons perdu le cap et le cadre permettant de border les discussions sur la PPE. Nous naviguons à vue et risquons de revivre dans le cadre de la PPE les débats du passé sur la nécessité ou pas de réduire la part du nucléaire, au lieu de s’atteler à la question la plus importante : comment mener la transition énergétique ?

Sans cap, comment œuvrer pour plus d’ambition ?

Il est indéniable que le cap politique de 2025 inscrit dans la loi pour arriver à 50% de nucléaire dans l’électricité était exigeant et très difficile à atteindre. Nous le savons tous. Mais comme tout cap, il avait le mérite d’indiquer la direction à prendre. Avec les autres objectifs de la Loi de Transition énergétique de 2015, il indiquait clairement aux acteurs de la filière électronucléaire et des énergies fossiles que désormais, il n’était plus possible de penser ni de faire comme avant. Que le mix énergétique français devait évoluer. Finalement, que l’étape de 50% de nucléaire soit atteinte en 2025 ou quelques années plus tard n’était pas la question la plus essentielle.

L’annonce de Nicolas Hulot intervient au mauvais moment car la discussion sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) – c’est-à-dire la planification énergétique de la France jusqu’en 2030 - commence à peine. Cette discussion, d’une durée d’un an et impliquant les acteurs de l’énergie, dont les ONG, doit déterminer un calendrier et un plan concret : comment fermer des réacteurs rapidement y compris pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron ? Comment booster les économies d’énergie et les énergies renouvelables dans notre pays, qui a pris tant de retard dans ces deux domaines ? C’est bien le cœur du sujet. Et la discussion la plus importante du mandat d’Emmanuel Macron en matière d’énergie. 

En supprimant la date de 2025, qui plus est sans en présenter de nouvelle, le Ministre d’Etat supprime le cadre qui nous permettait à nous, acteurs de la transition, ONG, citoyens, d’œuvrer pour plus d’ambition dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Les vannes sont dorénavant ouvertes pour que se fassent entendre tous ceux qui ne veulent pas que la transition énergétique ait lieu en France – et ils sont encore nombreux. C’est déjà visible, à en croire les satisfécits de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), suite à l’annonce.  Il nous faut donc impérativement un nouveau cadre avant de commencer les débats sur le nucléaire dans la PPE.

 

L’aveuglement persistant sur la réalité économique du nucléaire au sein du Gouvernement : le nucléaire appartient au passé 

Dans notre pays, il y a toujours, notamment au sein d’une partie de la classe politique qui a fait les mêmes grandes écoles que les professionnels du nucléaire, une forme d’aveuglement sur l’état de santé de l’industrie nucléaire française. Cette industrie est en crise. Plus aucun pays du monde ne mise massivement sur le nucléaire. Le carnet de commande d’EDF et Areva est quasiment vide. Le nucléaire coûte beaucoup plus cher que les énergies renouvelables, devenues compétitives. Même EDF a renoncé à rendre le nucléaire compétitif face aux énergies renouvelables puisque désormais l’entreprise le met en concurrence avec les énergies fossiles, plus les énergies renouvelables. 

Le nucléaire coûte beaucoup plus cher qu’on ne le pense. En effet, les coûts du démantèlement et du traitement des déchets ne sont pas intégrés ni dans notre facture énergétique ni dans nos impôts. Et l’idée d’un nouvel EPR « pas cher » est une chimère. 

Enfin - l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) l’a répété le 8 novembre 2017 - le contexte est préoccupant pour la sûreté des réacteurs français. Aujourd’hui, notre parc nucléaire est dégradé, comme le montre l’arrêt de 21 réacteurs sur 58 actuellement. Le risque terroriste autour des piscines de refroidissement, récemment mis en lumière par l’ONG Greenpeace, vient aussi s’ajouter à la longue liste des risques associés au nucléaire.

 

L’opposition toxique entre sortie des fossiles et sortie du nucléaire 

Dans la transition énergétique, il est essentiel de mener de front deux enjeux majeurs :

  • la sortie du nucléaire pour répondre au risque nucléaire et à la faillite de cette industrie, 
  • la sortie des énergies fossiles pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et lutter contre le changement climatique.

 

Nous trouvons dommageable la façon dont Nicolas Hulot a opposé dans sa communication ces deux aspects, laissant sous-entendre que nous devrions choisir temporairement entre lutte contre le changement climatique et sortie du nucléaire, au moment où la COP23 bat son plein à Bonn. Ce n’est pas exact. Plusieurs scénarios, y compris celui du gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, montrent qu’il est possible de concilier les deux, à condition d’être très volontariste sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables, sans plus attendre. Rappelons que sur le long terme, ce n’est pas le maintien sur pied des centrales nucléaires qui ne permettra pas de réduire les gaz à effet de serre de la France à la hauteur de ce qu’exige l’accord de Paris. 70% de notre consommation d’énergie finale provient toujours de sources fossiles ! De plus, le nucléaire reste un obstacle au développement des énergies renouvelables, dans un contexte où la consommation française et européenne d’électricité diminue sous l’effet des politiques d’économies d’énergie.

 

L’exemple de l’Allemagne est souvent cité, et quasi-systématiquement de manière erronée. Non, l’Allemagne n’a pas augmenté sa consommation de charbon (et donc ses émissions de gaz à effet de serre) parce qu’elle sort du nucléaire. D’une part, la consommation de charbon et les émissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne sont repartis à la baisse depuis quelques années, après avoir légèrement augmenté autour de 2012. D’autre part, la hausse des énergies renouvelables, qui se sont développées très rapidement outre-Rhin, a plus que compensé la baisse du nucléaire allemand. En réalité, si le charbon est toujours utilisé aujourd’hui en Allemagne, c’est parce qu’il est très peu cher et que le prix appliqué à la tonne de CO2 en Europe (5-7 euros environ) est loin d’être suffisant pour inciter les producteurs d’électricité à fermer leurs centrales au charbon. 

Le marché des quotas de CO2 européen
Malheureusement, ce n’est pas le marché des quotas de CO2 de l’Union européenne qui permettra à court terme de faire émerger un prix suffisant, puisque les négociations européennes sur la réforme de ce système viennent d’accoucher d’une souris le 8 novembre 2017. Des mesures nationales et régionales, complémentaires au marché carbone européen, seront nécessaires pour que l’Allemagne et les autres pays de l’UE sortent du charbon.

 

Quelques enseignements importants tirés des prévisions de RTE pour 2035

Le document de RTE, sur lequel s’est appuyé le Gouvernement pour faire son annonce, tire plusieurs conclusions très positives qui n’ont pas été suffisamment soulignées dans la communication autour du rapport :

  • Il est clair désormais que la consommation d’électricité en France va baisser dans les décennies à venir (voir graphique), même avec les nouveaux usages de l’électricité liés au véhicule électrique et à la numérisation de l’économie. Les mesures d’économies d’énergie (dans l’industrie, le bâtiment, les transports) portent leurs fruits. C’est l’inverse de ce que répète allègrement l’industrie nucléaire.
  • La fermeture de nombreux réacteurs nucléaires est devenue inéluctable. Le nombre et le rythme des fermetures reste à déterminer dans le cadre de la PPE. 
  • Enfin, dans tous les scénarios de RTE, les énergies renouvelables vont devoir se développer plus rapidement, afin de remplacer les capacités nucléaires et fossiles.

Scénario consommation d'énergie en France

 

Le gouvernement doit poser un nouveau cadre, et 2030-35 est une échéance bien trop floue et trop tardive 

La Fondation pour la Nature et l’Homme entend également être pragmatique, en contribuant à l’établissement d’un plan concret et ambitieux de fermeture des réacteurs nucléaires (y compris plusieurs pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron) et de montée en puissance des énergies renouvelables et de la maîtrise de l’énergie. 

Pour que les discussions sur la PPE aient lieu dans un état d’esprit utile à la Transition et dans la continuité du long débat sur la Loi de transition énergétique, nous appelons le Gouvernement à réaffirmer d’abord un cadre et un cap clairs pour la baisse du nucléaire à 50%, avec une date. Sans quoi, notre participation à la PPE semble inutile.

La FNH ne peut concevoir que ce nouveau cadre reporte la baisse à 50% du nucléaire au-delà de 2030, voire à 2035. C’est une échéance bien trop tardive pour envoyer un quelconque signal au secteur et aux citoyens. Si cette échéance était confirmée par le Gouvernement, ce serait un recul grave et un renoncement total aux engagements de campagne d’Emmanuel Macron, qui s’était engagé à tenir et « crédibiliser » la loi de Transition énergétique de 2015.

 

 

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