Décryptage

En septembre, le gouvernement proposera une loi Mobilité. La FNH décrypte pour vous deux rapports qui serviront de base à l'élaboration du texte

Publié le 05 avril 2018 , mis à jour le 23 avril 2021
La politique d'infrastructures préfigure les équilibres territoriaux de demain. C'est aussi l'outil indispensable pour favoriser les modes de transport les moins polluants et les moins émetteurs de gaz à effet de serre. A cet égard, la future loi Mobilité, attendue depuis de nombreuses années, qui sera présentée en mai prochain et débattue avant la fin de l'année au Parlement, pourrait bien être l'une des plus structurantes pour l'économie, la cohésion des territoires, mais aussi pour la lutte contre le changement climatique.

Pour la préparer, le gouvernement s'appuie en particulier sur deux rapports publiés en février 2018 : le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), sur le financement, et le rapport Spinetta, qui engage la concertation sur l'avenir du ferroviaire en France. Que retenir de ces rapports ? 

Le rapport Spinetta se concentre uniquement sur le transport ferroviaire. Il propose -pour faire face à la dette et parmi de nombreux autres sujets liés à la SNCF et non traités ici- de recentrer le réseau ferroviaire sur les seules zones urbaines et périurbaines et les lignes à grande vitesse entre les principales métropoles. Une vision sans aucun doute trop strictement comptable, avec le défaut majeur de nier le potentiel écologique du train, qui reste le mode de transport le moins émissif quand il fonctionne correctement. Néanmoins, il ouvre la voie pour la concertation sur le ferroviaire, secteur pour lequel il est devenu urgent de proposer une stratégie positive de modernisation et de revalorisation.

Le rapport du COI, présidé par Philippe Duron, pose les jalons d'une stratégie renouvelée pour les infrastructures de transports, donnant la priorité aux déplacements du quotidien, à l'entretien des réseaux existants plutôt qu'aux nouveaux projets. Les propositions émises visent à faire émerger un système multimodal qui donne une vraie place au vélo et aux nouvelles mobilités. Les 3 scénarios proposés, se différencient par le montant du financement global. Mais dans tous les cas, " la transition écologique n'est pas une option ", pour les experts du COI, qui revendiquent sur ce point un " changement de paradigme ". Urgence sanitaire et compte à rebours climatique sont en effet la toile de fonds de cette réflexion sur l'avenir des infrastructures. 
Malgré l'ambition affichée, et quelques propositions inédites, il n'est pas sûr que cela suffise pour engager le virage vers la mobilité durable, et garantir à long terme, la compatibilité de notre système de transport avec les limites planétaires. Pour cela, il sera nécessaire de rompre avec la centralité du transport routier, ce que ne font à aucun moment les experts des infrastructures.

Les 3 scénario du COI pour le financement des infrastructures à horizon 2038
Le COI propose 3 scénarios, plus ou moins ambitieux, dont le second retiendra sans doute une attention particulière de la part du gouvernement.
Rapport COI

La création d'un fonds national vélo, une mesure inédite

S'appuyant sur la consultation de nombreux acteurs du secteur des transports, les experts du COI ont considéré une large gamme de modes de déplacement, au- delà des modes " lourds ", intégrant dans leur vision de la mobilité le vélo (enfin reconnu comme un mode de déplacement), le covoiturage ou le partage de véhicules.
Premier constat donc, le vélo trouve enfin une place, et un financement, dans une vision systémique de la mobilité. Entre 150 et 450 millions sont envisagés sur 4 ans en fonction des scénarios. Ce montant est en deçà de ce que préconise la FNH - 200 millions d'euros par an pendant 4 ans sont nécessaires pour rattraper le retard de la France dans le domaine. Néanmoins, la création d'un fonds national pour le vélo serait une mesure inédite, un vecteur pour insuffler de réels changements dans la mobilité au quotidien. 

La priorité aux transports du quotidien

Il faut reconnaître ensuite dans le tri opéré par le COI entre les grands projets, une réelle application de la priorité aux transports du quotidien et une volonté de se projeter à long terme en prenant en compte les évolutions technologiques. Le traitement en urgence des nœuds ferroviaires, comprenant le développement des RER dans les grandes aires urbaines, traduit bien cette orientation. Certains projets emblématiques d'autoroutes tels que l'A45 entre Lyon et Saint Etienne, pourraient ainsi être abandonnés si l'avis du COI est suivi. 
Pour autant, même si les déplacements du quotidien occupent une place prépondérante, une vision nationale pour le développement des infrastructures à moyen et long terme se passe difficilement des déplacements longues distances. De ce point de vue, les enjeux de ces déplacements ne sont pas traités. Il s'agira sans doute là d'un écueil, pour un pays dont de nombreux territoires vivent du tourisme, balnéaires ou de montagne, et que les séjours de courte durée, en week-end, se sont installés dans les modes de vie…

La politique du tout voiture n'est pas remise en cause

La voiture restera le mode de transport dominant selon les experts du COI. Elle draine avec elle les principales innovations technologiques, avec le véhicule autonome en en perspective, elle demeure, toujours selon les experts, le seul moyen de désenclaver les territoires, portée par les nouvelles solutions de mobilité : covoiturage, partage, véhicules autonomes… C'est sans doute ici qu'à la lecture rapport, le doute s'installe. 
Aujourd'hui la mobilité quotidienne, c'est la voiture particulière : 2/3 des Français l'utilisent chaque jour pour aller au travail. Mais si l'on se projette à 10, 15 ans, la voiture particulière ne sera plus le moyen dominant pour les trajets courte distance comme pour les déplacements longues distances. L'usage de la route est amené à se resserrer sur le transport collectif ou partagé. Partageant ce constat, les experts préconisent pourtant la concrétisation de plusieurs autres projets autoroutiers, de rocades de contournement, et y dédient la part la plus stable du budget national pour les infrastructures.
Il semblerait que le mythe de la voiture "propre" et des nouvelles technologies connectées, solutions de demain à tous les maux actuels, ait emporté avec lui l'esprit du comité Duron. 
Les experts l'admettent pourtant : "la création de nouvelles voies n'est que rarement un remède à la saturation", et "l'inflation de voiries routières ne résout rien". Alors pourquoi y mobiliser autant de moyens financiers ?

Le ferroviaire, victime du désinvestissement et d'une absence de vision d'avenir

L'échec des politiques menées depuis de nombreuses années pour le report modal est consécutivement validé par le COI. Le transport ferroviaire doit se contenter d'un resserrage "pragmatique", pour le fret comme pour les voyageurs, aux territoires où il est considéré comme "crédible", à savoir les secteurs urbains et périurbains, axes interurbains et grands corridors. Cette orientation est confirmée par le rapport Spinetta. Le fret est dans les deux cas à peine traité. Malheureusement cela ne compose pas une stratégie d'avenir. 

Si le remplacement des matériels Intercités est confirmé par les experts du COI, les petites lignes de train, dont, si ce n'est pas la totalité un certain nombre gardent leur pertinence, sont directement visées par le rapport Spinetta. Le remplacement des voies ferrées locales (la conversion des emprises foncières) par des " mobilités innovantes ", véhicules autonomes par exemple, a sans aucun doute une certaine pertinence. Pourtant, la faisabilité et les avantages de ces solutions, en particulier pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements, ne sont pas garanties. Alors que les déplacements en train sont parmi les moins émetteurs en GES, il n'est difficilement tenable que leur avenir fasse l'objet de si peu d'intérêt. Surtout, cette conversion n'est pas crédible partout : on ne voyage pas en voiture ou en car comme l'on voyage en train, en termes de confort, de temps utile pour soi. Le comité Duron allie ainsi, sans complexe et au péril de sa cohérence politique, initiatives innovantes et conservatisme gestionnaire. 

Sans perspectives claires pour le ferroviaire, on peine à trouver une vision d'ensemble pour l'avenir des infrastructures et de la mobilité en général.

Maîtrise de la demande de mobilité : les experts capitulent

Si la référence aux politiques d'aménagement, et l'intérêt de la lutte contre l'étalement urbain sont mentionnés, aucune recommandation dans le rapport du COI ne vient traduire cette préoccupation. Pourtant, les infrastructures de transports déterminent l'équilibre des territoires, les relations des agglomérations avec les zones moins denses, la cohésion des territoires, et leur accessibilité. La maîtrise de l'étalement urbain, c'est aussi la maîtrise des coûts des infrastructures, ce qui dans un contexte de contrainte budgétaire, aurait pu inciter à d'avantage de considération…

C'est un peu comme si l'aménagement n'était plus un sujet… ou qu'il s'était soumis à aux injonctions du trafic. 

Financements : des pistes à conforter pour une politique des mobilités juste et équitable

La Conseil d'orientation des infrastructures avait pour mission d'identifier des recettes supplémentaires pour faire face aux difficultés de financement des infrastructures. Le rapport pointe à ce titre les le fiasco de l'éco taxe, ou encore les incohérences de la fiscalité transport et sa nécessaire évolution en vue de dégager des financements nouveaux. Pourtant les nouvelles sources de financement, liées à la TICPE, la fin progressive des exonérations de carburants, la contribution des poids lourds, ou encore de l'aérien, devront faire l'objet elles même d'une programmation précise. 

Pour la FNH, les finances publiques ne peuvent plus être orientées vers des projets qui ne sont pas compatibles avec la lutte contre le changement climatique ou la protection de la biodiversité. De même, les recettes de la fiscalité écologique doivent être orientées vers la transition écologique. La politique de transport est une politique d'investissement résolue dans l'avenir. La nouvelle loi d'orientation des mobilités et de programmation des infrastructures devra de ce point de vue aller donc plus loin que le rapport Duron, pour renforcer l'évaluation des projets. C'est la condition pour une véritable politique de mobilité à la hauteur des enjeux. C'est aussi la condition pour une politique publique juste et équitable, donc acceptable socialement. 

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